Pourquoi les quatre condamnés à mort d'Epinal en 1805 portaient-ils une chemise rouge ?
Question d'origine :
En 1805 à Epinal, quatre condamnés à mort (dénommés les Cardinaux par les gens du cru alors qu'entre autres ils étaient innocents) ) ont été guillotinés et ils étaient revêtus d'une chemise rouge. Pourriez-vous me donner la signification de cette chemise rouge ? Serait-ce parce qu'ils avaient été considérés comme particulièrement sanglants avec leurs victimes ? Ou serait-ce dû à une tradition de cette époque que les condamnés portent une chemise rouge ?
Merci et meilleures salutations
Réponse du Guichet
La chemise rouge était réservée aux assassins et aux empoisonneurs.
Bonjour,
Wikipedia consacre un article à l'affaire des chemises rouges lors de laquelle cinquante-quatre personnes furent jugées, et condamnées à mort par le Tribunal révolutionnaire :
Le 29 prairial an II (17 juin 1794), 54 personnes furent condamnées à mort sous le prétexte d’avoir voulu attenter aux jours de Robespierre et Collot d'Herbois. Pour l’occasion, on les revêtit, avec de la toile de sac, de « chemises rouges » - d'où le nom -, tenues d’infamie réservées jusqu’alors aux assassins et empoisonneurs
Le code pénal publié à l’automne 1791 indique ainsi :
" Article 4. Quiconque aura été condamné à mort pour crime d'assassinat, d’incendie ou de poison, sera conduit au lieu de l’exécution revêtu d'une chemise rouge".
Source : Code de la guillotine - Recueil complet de documents concernant l'application de la peine de mort en France et les exécuteurs des hautes-œuvres par Ludovic Pichon (2016).
Nous retrouvons ainsi de nombreuses descriptions faisant état de condamnés portant une chemise rouge. Pour n'en citer que quelques-unes :
"Plusieurs membres des comités révolutionnaires, un de ces derniers lui fit observer qu’il devrait envoyer les condamnés à l’échafaud, revêtus d’une chemise rouge, puisqu’ils étaient convaincus d’assassinat".
Source : L'amour sous la Terreur. La société française pendant la Révolution par Adolphe De Lescure (2022).
Les cinquante-quatre condamnés étaient tous revêtus de la chemise rouge des parricides, jusqu’alors seulement portée par Charlotte Corday.
Source : L'Espace de la mort. Essai sur l'architecture, la décoration et l'urbanisme funéraires par Michel Ragon (2012)
Enfin, l'analyse de Pascal Bastien sur les rites liés aux exécutions montrent combien la "visibilité" du crime dans l'espace public est importante, d'où certainement l'usage de la chemise rouge :
Dans la mesure où l’on définit l’exécution comme l’ensemble des parties du rituel et non comme la seule application de la peine principale, il est juste de voir dans la première exhibition publique du condamné le début du cérémonial punitif. Apparaissait alors sur le seuil de la prison, escorté par le bourreau et ses valets, un homme ou une femme clairement représenté par son crime. Le port de l’écriteau autour du cou du patient, mesure aggravante mais fréquente s’ajoutant au châtiment principal, identifiait à l’avant et au dos du condamné la nature de la transgression. Portant sa faute sur lui, par son inscription sur l’écriteau mais aussi, pour certains, par un accessoire évoquant le crime, comme le morceau de plomb pour le voleur de plomb ou le couteau pour l’assassin, il devenait possible à l’assistance de comprendre clairement par ces signes la faute dont on faisait publiquement justice. Qu’il fût condamné à une peine infamante, afflictive ou capitale, le patient quittait les prisons pour monter dans un tombereau, accompagné par l’équipage de l’exécuteur, la foule et, lorsque le rang du malheureux ou la sécurité publique l’exigeait, quelques troupes de soldats
Source : Pascal Bastien, « Usage politique des corps et rituel de l’exécution publique à Paris, XVIIe-XVIIIe siècles », Crime, Histoire & Sociétés / Crime, History & Societies, Vol. 6, n°1 | 2002.