Je cherche des informations sur la soierie lyonnaise
Question d'origine :
Bonjour,
Je m'intéresse à la soierie lyonnaise, première moitié du 20e siècle.
Je n'arrive à comprendre comment les différents métiers
créateur - marchand de soie - tisseur / canut - fabriquant
s'articulent pour produire une pièce de soierie en "haute nouveauté". Pouvez vous m'éclairer?
Quel est le role de chacun? quelles sont toutes les étapes pour arriver à un dessin, des échantillons, un couturier... et une robe en soie?
Merci beaucoup, bon été. Cécile
Réponse du Guichet
La production de la soierie est une longue chaine d’opérations successives très spécialisées dépendantes les unes des autres, qui fait appel à de nombreux métiers. A Lyon, la fabrique des soieries a occupé une place prépondérante dans le développement de la ville et de son bassin entre le XVIe et le XIXe siècle. Toutes ces professions étaient regroupées au sein de la Fabrique lyonnaise. On dénombrait plus de 80 professions exerçant leurs talents dans la Grande Fabrique, dont la plupart ont aujourd’hui disparu. A Lyon, quelques maisons de tisseurs existent encore, perpétuant la tradition, essentiellement pour la restauration des grands châteaux, pour le mobilier national et pour l’étranger : ceux sont les Brochier, Chatel, Prelle et Tassinari.
Partie I : La soierie lyonnaise : emblème, image de marque, patrimoine culturel
Au fil des siècles, l’extension géographique de la fabrique des soieries a permis à l’agglomération lyonnaise, pour la première fois de son histoire, de se trouver au cœur d’un véritable hinterland économique : culture du ver à soie dans la vallée du Rhône et en Ardèche, essaimage du travail à façon dans un rayon de 100 km autour de Lyon ; essor au 19e siècle de tous les maillons de la filière textile, dans l’Isère, la Loire et l’Ain. A Lyon, de nombreux petits ateliers indépendants étaient installés au cœur de la ville. Au début du 19e avec l’avènement du métier Jacquard, les tisseurs se sont déplacés à la Croix-Rousse. Après les révoltes fin 19e, les soyeux sont allés produire ailleurs, de véritables usines s'ouvrent dans l’est lyonnais ; la veille de la première guerre mondiale, 18000 métiers mécaniques tournent dans le Dauphiné qui tourneront pour certains jusqu’à la fin du XXe.
Au XIXe siècle la Fabrique de Lyon atteint un degré d’excellence artistique qui lui permet de conquérir de nombreux marchés. Les soyeux se mettent à parcourir le monde. Parmi les atouts de la Fabrique lyonnaise, une expertise technique, une capacité d’innovation technologique et aussi un savoir-faire artistique des créateurs et au premier rang les dessinateurs. Seulement quelques grands noms sont parvenus jusqu’à nous, c’est le cas de Philippe Lasalle, maitre fleuriste, dessinateur et fabricant d'étoffes de soie à Lyon au XVIIIe. La maison Création Robert Vernet fondée en 1957 est le plus grand atelier de dessins textiles en activité à Lyon.
Au XXe siècle la haute couture ouvre de nouveaux débouchés pour les soyeux lyonnais. Un changement s’opère. Jusqu’à la première Guerre Mondiale, les fabricants lyonnais vendaient leur production sur place à Lyon aux acheteurs étrangers et parisiens. Ensuite, avec le développement de la mode féminine, des maisons lyonnaises comme Bianchini-Férier s’installent à Paris créant des partenariats exclusifs avec les maisons de couture de la capitale. Les années 1925 à 1929 marquent une période faste à la fois pour la couture parisienne et la soierie lyonnaise.
Des maisons parisiennes achètent des usines de la région de Lyon. Une alliance est passée avec la haute couture qui permettra à Lyon de demeurer l’experte de la partie technique du tissage à la teinture et aux apprêts, et de vendre des tissus haute nouveauté. L’impression au cadre se développe pour davantage de compositions et motifs.
La crise des années 30 et les années de guerre porteront un coup fatal à cette émulation artistique du secteur textile. L’expansion de la soierie s’arrête avec la crise mondiale du début des années 30 ; c'est aussi à cette période que la sérigraphie remplace le travail de l’impression à la planche.
En 1955, la soie ne représente plus que 2,3% des activités de la fabrique lyonnaise, pourcentage qui va descendre à 0,5% en 1992. En 1945, on dénombre dans la région lyonnaise quelques 500 fabricants en soierie, il en reste 25 en 2000 et seulement une petite dizaine en 2003.
Depuis la 2nde guerre mondiale, Lyon s’est détachée de la production dite «en haute nouveauté», celle qui a fait sa richesse et sa gloire pendant plusieurs siècles pour se tourner vers un autre secteur, dans lequel elle occupe une place importante, celui des textiles dits "industriels" destinés à l’aéronautique, à la navigation, à l'ameublement. Progressivement les maisons de soierie de Nouveauté et Haute-Nouveauté ont fermé (cycle faillite, fermeture, vente).
Après 1945, les soyeux ont adapté leur profession aux nouvelles exigences du marché. Aujourd’hui encore l’alliance maintenue avec la haute couture parisienne constitue encore le principal débouché de la filière soie en Rhône-Alpes. Des groupes et partenariats se sont constitués pour faire face à la complexité du marché, intégrant les diverses étapes de la fabrication. La holding textile Hermès est encore très présente dans la région. Ainsi sont préservés à petite échelle, hormis la sériculture, tous les métiers du secteur de la préparation du fil avec les moulinages et teintures de fils ou ennoblissement avec les teintures sur pièces et impressions.
Avec les nouvelles technologies, les grandes marques de luxe font appel à des maisons régionales qui utilisent des métiers informatisés (les carrés Hermès sont produits dans la région lyonnaise). Toutefois les tissus de type ancien ne peuvent être produits que sur des machines traditionnelles à la Jacquard.
Début 2000, une maison prestigieuse comme Bianchini Ferier ne réservait plus que 10% de sa production à la soie.
Aujourd’hui le savoir-faire de création des Lyonnais en matière textile est entretenu par un important réseau de formation orienté vers les métiers de la mode.
Chapitre II: Les métiers, techniques et savoir-faire
Trois grandes opérations sont préalables à la réalisation des tissus façonnés : la préparation du dessin, celle du fil et celle du métier.
- Le dessinateur en soie : il fournit l’esquisse et la transcrit sur une carte carreau par carreau qui sera ensuite percée par des cartonniers
- Les préparateurs du métier à tisser : différentes commandes telles que l’empoutage, le colletage, le pendage, l’appareillage et la constitution du remisse
- Les préparateurs du fil : filage de la matière première, ouvraison, mettage en main, teinture, dévidage, assemblage, ourdissage, cannetage
Il semble que la plupart de ces petits métiers aient été réservés aux femmes.
Le tisseur exécute l’étoffe.
En amont le négociant aussi désigné par le terme de marchand fabricant ou soyeux choisit le dessin, la texture du tissu, les coloris à teindre et effectue la mise en œuvre des matières nécessaires en coordonnant l’ensemble du travail au sein de la Fabrique. Le fabricant était donc assisté d’une équipe compétente et sédentaire à la tête duquel se trouvait le chef de fabrication épaulé par un second. Au XXe siècle, on les appelait les «commis». Dans ce service de fabrication évoluaient de nombreux métiers parmi lesquels :
- Le brasse-roquet ou rondier
- Le garçon de peine
- L’emballeur
- Le cartonnier
- La dévideuse
- L’ourdisseur
- L’assembleur
A l’extérieur des bureaux de la fabrique gravitaient autour du tisseur les métiers qui s’occupaient de la préparation du fil ou du matériel.
Enfin, en aval intervenaient ceux qui assuraient la finition de l’étoffe pour l’ennoblissement :
- Le teinturier
- Le dégraisseur
- Le moireur
- L’apprêteur
- Les passementiers rubaniers
- Les brodeurs
Tous ces métiers sont expliqués en détail et illustrés dans les ouvrages suivants :
- Lyon au fil de la soie. De multiples professions p.16
- Soierie artisans et métiers. Chapitre II Des métiers p. 43-61
- Les routes de la soie. Chapitre Les étapes du travail de la soie p. 30-38
Références bibliographiques consultées :
- La soie à Lyon : de la Grande fabrique aux textiles du XXIe siècle / Bernard Tassinari
- Lyon au fil de la soie : des canuts aux textiles intelligents, la soie comme fil conducteur d'une balade urbaine originale / Catherine Payen, 2016
- Les routes de la soie : Lyon et la vallée du Rhône / texte, Camille de Longvilliers ; photographies, Frédéric Jean
- Les filières de la soie lyonnaise [Revue] / Le Monde alpin et rhodanien ; No 2-3, 1991
- La soierie lyonnaise / Jean Etèvenaux ; photogr. de Gérald Gambier
- La Soie : recueil d'articles sur l'art et l'histoire de la soie / publiés par Jean-Pierre Jelmini, Caroline Clerc-Junier, Roland Kaehr
- Soierie : artisans et métiers / Bernard Bensoussan, Henriette Pommier ; préf. de Yves Grafmeyer
- L'art de la soie : Prelle, 1752-2002 : des ateliers lyonnais aux palais parisiens : exposition, Paris, Musée Carnavalet, 20 nov. 2002-23 février 2003 / [catalogue par Anne Forray-Carlier, Florence Valantin, Philippe Verzier, et al.]
- Etats généraux de la soie : rapports généraux présentés à Lyon le 23 juin 1945
Des fonds à la bibliothèque de la Part-Dieu concernent le textile :
- Celui de l’école de tissage
- Celui de l’agronome Matthieu Bonafous
Des lieux et centre-ressources à visiter :
- Musée des Tissus et des arts décoratifs de Lyon : en travaux - actuellement fermé. Installé rue de la Charité dans l’hôtel particulier de Lacroix-Laval et son jardin à la française ainsi que l’hôtel particulier de Villeroy. Le Musée des Tissus retrace 2000 ans d'histoire occidentale et orientale du textile, en présentant pièces de tissus, tapis, tapisseries et costumes.
- Soierie vivante. L’association, créée en 1993, propose la visite d’ateliers de canuts sur la colline de la Croix-Rousse à Lyon, atelier municipal de passementerie et l’atelier de guimperie, où l’on réalisait des pièces pour l’ornementation des vêtements ou du mobilier (broderies, cordonnets, galons, rubans...), démonstrations sur métiers à tisser.
Pratique : 21 rue Richan, Atelier Municipal de Passementerie, 69004 LYON, tél. 04 78 27 17 13. Permanence & boutique : Atelier de passementerie
- Maison des Canuts. La Maison a été créée en 1970 par COOPTISS, une coopérative d’artisans salariés à domicile. Collections de tissus anciens et de passementerie, accessoires et outils des ouvriers tisseurs, démonstrations sur métiers à bras et mécaniques, découverte de l’histoire de la soie et du cycle du bombyx...
Pratique : 10-12 rue d’Ivry, 69004 LYON, tél. 04 78 28 62 04.
Pour aller plus loin :
- Les études sur la soierie de Millénaire 3
- Une exposition (virtuelle) : Une fabrique de l'innovation Trois siècles de révolutions / bibliothèque municipale de Lyon, 2012. Chapitre Le textile en Rhône-Alpes au XXe siècle
- Le Festival de la soie en novembre
- Une Association internationale de la Soie (1932-2004)
Et une petite sélection des romans historiques et polars sur les soyeux à lire :
- Un crime tissé de soie / Nicole Gonthier
- Le ver dans la soie / Marie-Thérèse Ferrisi
- Les dessous de soie / Frédéric Somon
- Un hiver de soie blanche / Ginou Jussel
- Une épine dans la soie : une histoire de canuts / Olivier Rebaudet
- Les noces de soie / Jean-Paul Malaval
- La soie au bout de doigts / Anne-Marie Desplat-Duc
- Mélancolie ouvrière : "Je suis entrée comme apprentie, j'avais alors douze ans..." Lucie Baud, 1908 / Michelle Perrot - Biographie de Lucie Baud (1870-1913), ouvrière en soie du Dauphiné.