Que signifie le mot "corlognon" et à quoi correspondent ces notions linguistiques ?
Question d'origine :
Bonjour je ne trouve pas sous internet la vraie définition de "corlognon" utilisée dans "je ne sais pas ce que tu as dans le corlognon". Crâne? (origine familiale jura, bresse, lyonnais, bretagne, normandie, anjou?).
Ma vraie question est comment fait-on la différence entre un patois, un argot, un idiome ("Usage linguistique propre à une région, à une province, à un groupe social, indépendamment d'une structure politique, administrative ou nationale.", Tlfi)...?
Merci
Réponse du Guichet
Le mot "idiome", très général, désigne une langue délimitant une communauté de locuteurs. Il peu donc qualifier une langue, au sens politique du terme, mais également un dialecte ou un patois - variantes plus régionales ou locales - ou encore un argot, idiome définissant une communauté non géographique, mais sociale, avec une volonté de coder le langage, pour diverses raisons. Nous n'avons en revanche rien trouvé sur le mot "corlognon" - ne vouliez-vous pas plutôt dire "corgnolon", qui désigne le gosier dans le Lyonnais et le Dauphiné ?
Bonjour,
Commençons par définir les trois mots qui vous intriguent, en nous servant du CNRTL.
Un idiome, terme le plus général des trois, puisqu'il ne peut se définir seul, est une "Langue propre à une communauté, généralement une nation, un peuple" - en ce sens, "idiome" peut être synonyme de "langue" puisque les exemples donnés sont "L'idiome anglais, français, maternel, national; les idiomes indo-européens", mais, comme vous le soulignez, le mot peut s'entendre plus généralement comme "Usage linguistique propre à une région, à une province, à un groupe social, indépendamment d'une structure politique, administrative ou nationale" - en ce sens, le groupe social considéré peut être de tailles et de natures tout à fait diverses.
Ainsi, quand on lit qu'un patois est la
Variété d'un dialecte, idiome propre à une localité rurale ou à un groupe de localités rurales. Le patois des environs d'Arras. Les patois picards. Parler patois. Je n'entends pas son patois. Par analogie, il désigne, dans un sens péjoratif, une Langue pauvre et grossière, empreinte de rusticité ou de vulgarité. Ce maudit patois ne saurait rendre de semblables délicatesses de pensée. Il désigne aussi un Mauvais style. Cela est mal dit, mal écrit : quel patois!
, on comprend que langue, dialecte et patois sont tous trois des idiomes - chacun définissant le groupe humain qui le parle, au niveau local, régional, national... sans forcément s'exclure mutuellement : par exemple, nous ne savons pas d'où vous nous écrivez mais comme vous le faites dans notre idiome national commun, le français, nous savons à coup à peu près sûr que vous comprendrez les mots enfant et saucisse. Si nous savions que nous étions entre lyonnais, nous pourrions employer les termes gone et godiveau dans le même sens, utilisant ainsi notre idiome local.
Il est important de comprendre qu'il n'existe pas de limite claire entre langue, dialecte et patois. Un article du site GéoConfluences, de l'ENS de Lyon, l'explique bien :
Une langue est un système de signes permettant l'intercompréhension à l'intérieur d'un groupe humain. Il n'existe aucune limite claire, sur le plan linguistique, entre une langue, un dialecte, un parler, ou un patois : on parle au contraire d'un continuum linguistique. Cette expression désigne plus précisément l'existence, au sein d'un groupe linguistique, d'un éventail de dialectes intercompréhensibles, c'est-à-dire ayant chacun des différences entre eux n'empêchant pas aux locuteurs de se comprendre aisément. Ainsi, il y a un continuum linguistique entre les différents dialectes de l'arabe, qui est un cas limite en raison de son extension spatiale : l'intercompréhension est possible d’un pays à son voisin, mais elle est loin d’être évidente entre deux dialectes éloignés géographiquement (l'arabe du Maroc et celui du Yémen par exemple).
Ce qui différencie la langue du dialecte ou du parler est le degré de reconnaissance officielle de leur statut, décrétée par l'État ou une autre forme de pouvoir dominant (une Église par exemple). Pour reprendre l'exemple de l'arabe, c'est le statut social, religieux et intellectuel de l'arabe littéral (véhiculaire) qui le différencie des formes vernaculaires de cette langue. D'une certaine manière, une langue est un dialecte qui a réussi à s'imposer aux autres. En retour, la reconnaissance d’une langue contribue à la stabiliser, notamment à l’écrit, et à lui assurer les locuteurs, tandis qu’un dialecte risque davantage l’affaiblissement si le nombre de ses locuteurs s’amenuise.
Une situation, comme en France, ou la langue officielle, le français, a remplacé comme langue maternelle la plupart des dialectes, sauf pour certaines régions et pour les langues créoles parlées outre-mer, est plutôt l'exception. Dans une grande partie des pays du monde, une ou plusieurs langues officielles se superposent à plusieurs langues vernaculaires ou régionales. Le multilinguisme est ainsi une compétence partagée par une majorité des humains, possédant deux langues ou plus et capables à passer de l'une à l'autre en fonction des contextes et des situations (notamment selon une séparation entre sphère publique et sphère privée). Si on change d'échelle, cette situation se retrouve pour la France à l'échelle de l'Union européenne, dans laquelle le français n'est qu'une langue parmi les 24 langues officielles de l'Union. En revanche, à la différence d'autres mosaïques linguistiques comme le Canada, la Russie, l'Inde ou la Chine, l'Union européenne ne possède pas de langue véhiculaire partagée par une grande majorité de locuteurs.
La reconnaissance institutionnelle est si importante dans la définition d'une langue que des bons mots circulent parmi les linguistes selon lesquels «Une langue est un dialecte avec une armée et une marine» ou «un dialecte qui a réussi», cités dans l'article Langue de Françoise Gadet, paru dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série) et consultable sur Cairn, qui signale encore :
Attribuer ou non un nom à une langue est le privilège du pouvoir politique et d’une position de dominant, qui peut faire advenir un idiome ou lui nier toute existence (voir Tabouret-Keller, 1997).
Ainsi pour le roumain : au-delà de la totale intercompréhension entre locuteurs roumains et moldaves, une seule ou deux langues ? Il n’est pas équivalent de parler de langue moldave comme le fait la constitution moldave, ou de roumain de Moldavie comme le font ceux qui souhaiteraient l’unification des deux pays. Nommer, c’est donc avant tout opposer.
Nommer les langues c’est d’abord les regarder ou non comme telles : tous les idiomes ne se voient pas qualifiés de langue, mais certains de « dialectes », « patois », « créoles », « pidgins » voire de termes comme « baragouin », accolé jadis au breton. Mais au-delà des enjeux idéologiques de ceux qui nomment, les dénominations de parlers ne sont pas figées. Ainsi, au gré d’événements politiques, des dialectes sont devenus des langues nationales, sous la pression de l’écrit et de la montée du nationalisme (Haugen, 1966) ; des créoles ou pidgins sont devenus des langues, comme le créole haïtien promu co-officiel avec le français en Haïti en 1987.
L'argot, est un idiome d'un type un peu particulier en ce qu'il ne définit pas sa communauté de locuteur selon des limites géographiques, mais sociales. Voici les sens que ce mot a pris au fil du temps :
Autrefois. L'ensemble des gueux, bohémiens, mendiants professionnels, voleurs
[...]
Langage de convention dont se servaient les gueux, les bohémiens, etc., c'est-à-dire langage particulier aux malfaiteurs (vagabonds, voleurs, assassins); aujourd'hui essentiellement, parler qu'emploient naturellement la pègre*, le Milieu*, les repris de justice, etc.
[...]
Langue créée à partir de la langue commune par application d'un procédé mécanique [ex. : le javanais, le verlan].
[...]
Langage ou vocabulaire particulier qui se crée à l'intérieur de groupes sociaux ou socio-professionnels déterminés, et par lequel l'individu affiche son appartenance au groupe et se distingue de la masse des sujets parlants. Argot parisien; argot d'école, de la bourse, du journalisme, etc. [...] P. anal. Tout signe de convention servant à correspondre secrètement (synon. chiffre), toute action ou manière de se comporter, convenue, particulière aux personnes d'une même catégorie et leur permettant de se comprendre [...]
Notons que l'argot est parfois utilisé comme cryptolecte, c'est-à-dire comme langage codé, destiné à n'être compris que d'une certaine communauté, notamment pour des raisons de sécurité. Voyez à ce sujet cet article du blog des éditions Assimil sur le polari, argot en usage parmi les homosexuels britanniques jusque dans les années 1970, ou encore le hawəssəŠ, "cryptolecte des minorités de genre et de sexualité du nord-ouest marocain", décrit dans un article de Massinissa Garaoun pour la revue Glottopol, consultable en ligne... se sont également développés de véritables argots de métiers, comme le soulignent Peter Nahon dans son article Notes de terrain sur quelques métiers et leur argot, in Langage et société, 2017/1 (N° 159), ou encore le chanteur et amoureux des mots Pierre Perret qui a consacré un dictionnaire au Parler des métiers.
Nous avons ensuite cherché corgnolon sur la base Lexilogos, qui regroupe de nombreux dictionnaires de langues, notamment locales. Le mot semble absent des parlers des Jura, Bresse, Anjou, Lyonnais... cependant, un mot lui ressemble beaucoup et pourrait être employé dans des contextes proches, en Lyonnais et en Dauphiné :
corgnolon \kɔʁ.ɲo.lɔ̃\ masculin
(Dauphiné) (Lyonnais) Gorge, gosier.
Faut avoir le corgnolon blindé pour gurgiter[sic] cette eau de feu ! — (Frédéric Dard, Ça baigne dans le béton, San-Antonio, Éd. Fleuve Noir, 2011)
Gnafron : -«Ça va j'ai pas mal de chopines dans ma poche, qui vont me passer par le corgnolon», il sort.— (E. Élardin, Le prix des coups de bâton, Éd. Lepagnez, Lyon 1876)
T’as raison. Faut que j’me réchauffe le corgnolon qu’est quasiment aussi froid que le regard d’un pousse-cul. Ils poussent la porte de l’estaminet arborant une enseigne en fer forgé portant ces mots : Aux clochetiers de l’Esveill. — (Robert Luc, Contes du gros caillou, Éditions Lyonnaises d’arts et d’histoire, 2000, page 23)
Peut-être est-ce le mot que vous cherchez ?
Bonne journée.